La méthode AProPos, pour Atelier d’apProche Positive en méthodologie de projet, propose une nouvelle approche de la méthodologie de projet en prévention et promotion de la santé. Créée et diffusée par l’Atelier de l’évaluation, elle s’inspire de l’appreciative inquiry, développée par des universitaires américains dans les années 1990, tout en s’appuyant sur les fondements de la promotion de la santé et les travaux de chercheurs européens engagés aux côtés des acteurs de terrain.
Pourquoi une nouvelle approche ?
Les conseillers en éducation pour la santé le savent bien : la méthodologie utilisée aujourd’hui, loin d’être reconnue comme une aide pour les acteurs de terrain, est souvent vécue comme un frein, un mal nécessaire, un passage obligé pour trouver le financement nécessaire au déploiement de leur projet. Très technique, cette méthode demande aux acteurs déjà investis dans l’action d’accepter qu’il existe une seule bonne façon de faire, que tout ce qui a été fait jusque-là est à refaire « dans les règles de l’art », en respectant chaque étape dans sa chronologie. Mais le formatage des objectifs, la différence entre objectifs et moyens, l’utilisation d’un vocabulaire spécifique, l’interdiction d’envisager des solutions avant d’avoir bien cerné les problèmes sont autant d’éléments qui limitent l’adhésion à la méthode et son appropriation dans les pratiques.
La méthodologie de projet telle qu’elle est enseignée aujourd’hui transforme trop souvent des porteurs de projets motivés, qui veulent influer sur la situation de personnes en difficulté, en experts de la problématique, des écueils, des obstacles… Il faut bien sûr faire un état des lieux et s’appuyer sur une méthode éprouvée, mais pas au détriment de la créativité, de l’enthousiasme, de la motivation. La méthodologie doit être une alliée, qui accompagne, soutient et fait grandir en compétence, pas une fabrique de projets standardisés, prévisibles, qui laisse peu de place aux potentialités individuelles et collectives.
Les fondements de la méthode AProPos
Tout au long de nos années d’enseignement de la méthodologie de projet en prévention et promotion de la santé, nous avons cherché les approches et les outils les plus pertinents et les plus efficaces pour les acteurs de terrain. Au milieu des années 2000, nous avons fait la promotion de la méthode suisse de catégorisation des résultats, en formant de nombreux conseillers en méthodologie, porteurs de projets et décideurs en santé publique. Nous en avons retenu l’importance d’identifier les déterminants de la réussite des projets. Nous avons également utilisé les travaux néerlandais sur l’importance majeure des partenariats dans la réussite de projets pluridisciplinaires, intersectoriels, ayant vocation à s’inscrire dans la durée.
Nous avons ensuite noté les changements importants qui s’opéraient dans la façon de définir et piloter les projets dans le monde de l’entreprise et du management. Même si la finalité et les principes d’action des projets de santé diffèrent en bien des points des projets entrepreneuriaux, il est toujours intéressant d’aller voir comment le monde du « privé » met à profit la recherche dans le domaine des sciences sociales. De nombreux outils psychométriques ont été créés dans ce contexte, sans parler de la démarche qualité, qui s’est développée dans les usines bien avant de s’intéresser à l’amélioration des réponses sanitaires et sociales.
Nous avons donc étudié l’appreciative inquiry, nouvelle façon d’envisager le changement dans les organisations et les projets. Il s’agit d’une alternative à la démarche classique de la résolution de problème. Les promoteurs de cette approche soulignent que de focaliser sur le problème induit un état d’esprit « négatif », centré sur ce qui ne va pas, et que les évolutions proposées sont toujours « correctrices », et souvent stéréotypées.
L’appreciative inquiry, au contraire, propose d’inciter les acteurs à inventer, à imaginer le projet idéal, en décrivant ce qu’il va changer quand il sera pleinement déployé, puis de définir et mobiliser les moyens pour parvenir à ce résultat. Tout au long du déploiement du projet, les partenaires sont ensuite invités à imaginer ensemble des moyens de rendre le projet plus efficace, plutôt que d’être amenés à se justifier sur ce qui n’est pas ou mal fait.
Les principes à l’œuvre dans l’appreciative inquiry sont au nombre de cinq :
1_Coconstruire le futur
Le « principe constructiviste » postule que ce en quoi nous croyons détermine ce que nous faisons, et que les actions et les projets naissent à partir des relations entre individus, de leur façon de nommer les choses et de leurs discussions. Il convient donc d’offrir la possibilité aux acteurs de proposer des échanges d’idées, d’histoires, pour rendre possible de nouvelles actions.
AtEv : Deux courants philosophiques du début du XX° siècle :
Objectiviste : la réalité existe, il fait la découvrir ; c’est l’objet de la science. En méthodologie : le constat, les faits établis nous imposent les objectifs et les actions.
Constructiviste : la réalité se raconte, se fabrique ; c’est une construction. En méthodologie, le projet se construit avec les apports de chacun : il faut trouver une vision commune de ce que l’on veut obtenir.
2_Initier le changement dès le démarrage
Le « principe de simultanéité » soutient que le simple fait d’interroger des systèmes (projets, organisations) les change, et que les germes du changement résident dans les toutes premières questions posées, qui vont faire l’objet de discussions, de débats. Les questions ne sont jamais neutres, et les changements sont déterminés par les questions le plus souvent et le plus passionnément débattues.
AtEv : Amener les parties prenantes à réfléchir ensemble, c’est amorcer le changement. D’où l’importance du choix des thématiques et des questions posées. Le cadre doit permettre l’exposition des idées et du positionnement de chacun, puis une discussion qui permette de dégager points d’accord et divergences.
3_Le projet comme une aventure
Le « principe poétique » affirme que la vie des projets et des organisations est véhiculée dans les histoires que les gens se racontent, et que l’histoire des projets et des organisations est sans cesse coproduite par ses acteurs. Les sujets et les mots choisis lors des entretiens ou des réunions ont un impact parce qu’ils évoquent des sentiments, des modes de compréhension du monde. il faut donc privilégier les mots qui en appellent à ce qu’il y a de meilleur en chacun de nous.
AtEv : Les projets qui se réalisent et réussissent ont une histoire, un mythe fondateur auquel se réfèrent leurs acteurs, anciens et nouveaux. Le projet est porteur de valeurs humanistes, qui guident le choix des objectifs et des méthodes d’action. Les fondateurs, les acteurs qui font avancer le projet sont connus et reconnus.
4_La vision d’un futur meilleur
Selon le « principe d’anticipation », ce que nous faisons aujourd’hui est guidé par notre vision du futur. Les systèmes humains se projettent toujours vers ce qui pourrait être. Le futur joue donc un rôle puissant dans la mobilisation et la mise en action. Il est dès lors intéressant de proposer des images positives, partagées, de ce que pourrait devenir le projet ou l’organisation.
AtEv : C’est la différence la plus importante avec la méthodologie centrée sur la résolution de problèmes. Les acteurs du projet sont invités à imaginer leur projet une fois abouti, et à énoncer leurs effets positifs. C’est à partir de cette liste d’effets que seront définis les objectifs du projet.
5_Le plaisir partagé, un moteur de l’action
Le « principe de positivité » soutient que le changement et la pérennité de ce changement demandent un investissement affectif et social positif. Les sentiments comme l’espoir, l’excitation, l’inspiration, la camaraderie et la joie augmentent la créativité, l’ouverture à de nouvelles idées et à de nouvelles personnes, et stimulent l’apprentissage. Ils favorisent également les liens entre les personnes, particulièrement dans les groupes en conflit, liens indispensables pour que le changement soit possible.
AtEv : Les échanges, le travail commun peuvent se faire dans une atmosphère apaisée, chaleureuse. Quand les acteurs du projet s’apprécient, tout va plus vite, les difficultés s’aplanissent. Le partage d’émotions positives, et le partage nourrissent la motivation. Le plaisir est un moteur puissant.
La méthode AProPos
L’Atelier de l’évaluation a élaboré cette nouvelle approche de la méthodologie de projet en la mettant à l’œuvre dans de nombreuses missions d’évaluation, d’appui aux décideurs et d’accompagnement d’équipes de terrain. De cette expérience, nous avons élaboré une formation destinée aux conseillers en méthodologie et aux chargés de projet en promotion de la santé. La formation permet aux acteurs formés d’utiliser la méthode à toutes les étapes du projet, pour la formulation des objectifs, la définition des indicateurs d’évaluation, des méthodes et outils, comme de la planification et du pilotage. Des matrices sur Powerpoint permettent une représentation graphique facilitant la communication sur le projet.